La nana qui s'offrait au soleil sur le parvis

Publié le par Laurine Thizy

La nana qui s'offrait au soleil sur le parvis

Esplanade de la Bibliothèque Interuniversitaire Denis Diderot, parvis René Descartes, Lyon septième. Un lundi de janvier largement au-dessus des normales saisonnières, on fête les Paulin. Les gens se promènent en petits blousons ou manteaux ouverts, l'heure du café spéculoos est passée, l'entre-midi-et-deux laisse la place au 14-heures-faut-y-aller-on-est-que-lundi. Le ciel est bleu comme en plein mois d'août, bleu radieux uniforme peint au rouleau sur la voûte du ciel, ce n'est pas normal, pas normal mais ô combien agréable. Je fais mon trajet maison-lieu de travail - c'est-à-dire que je traverse les 200mètres d'esplanade qui séparent ma rue de l'ENS - éblouie réjouie de toute cette lumière.

Au loin une femme s'arrête, manteau noir, petit foulard rose, cartable en cuir de prof, cheveux auburn sur les épaules - le genre ni franchement lisses ni vraiment frisés, plutôt gonflés et difficiles à coiffer, ouvert en corolle derrière ses oreilles. Elle ferme les yeux et lève la tête vers le ciel, de loin on ne peut pas voir qu'elle a fermé les yeux mais on le sait, on en a la certitude absolue : c'est écrit dans son attitude, le visage tourné vers le soleil, les bras le long du corps - l'immobilité ultime- c'est écrit dans sa façon de se donner, de se laisser prendre à la chaleur du ciel, la bénédiction. Elle a fermé les yeux et elle respire.

Je traverse le parvis et je me rapproche de plus en plus, trente secondes, une minute, deux peut-être. Les gens autour circulent sans la voir, ils reprennent bientôt, ils filent, ils n'ont pas le temps, fourmis agitées et au milieu : la grâce d'une fleur éclose. Elle est immobile toujours, parfaitement statique dans son offrande, paupières lisses, bouche rouge, respiration par le nez : c'est une sérénité, une gratitude, un répit, c'est une communion soudain, cette joie solaire, cette paix volée et fugace ; un moment qui a quelque chose de si intime, de si secret qu'à la regarder on se sent comme exclue de ce partage-là. Et on se demande à quoi elle pense, quelle douleur elle expie ou quelle inquiétude elle relâche, quelle fraîcheur enfin la porte, pour se laisser ainsi aller à la douceur d'une respiration, devant tout le monde, sans pudeur et sans ostentation, simplement parce qu'un printemps éphémère s'est égaré au ciel et qu'il faut savoir l'accueillir - la grâce.

J'arrive à sa hauteur, je la dépasse, et, quelques mètres plus loin, pour vérifier, je me retourne : elle a disparu. Sur l'esplanade de la bibliothèque, une femme en manteau noir et foulard rose se presse vers les portes vitrées automatiques. Il ne faudrait pas être en retard.

Publié dans Portrait

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