Le cimetière marin de Sayulita

Publié le par Laurine Thizy

Le cimetière marin de Sayulita

"Trempe dans l'encre bleue de l'eau Pacifique, trempe trempe ta plume..."

Dans ce qui est peut-être une de ses plus belles chansons, Supplique pour être enterré sur la plage de Sète, Georges Brassens demande de toute la richesse de sa poésie à être enterré juste au bord de la mer, à deux pas des flots bleus... sur la plage de la corniche ; Paul Valéry avant lui nous avait offert cette longue méditation du vivant qui marche parmi les morts cachés dans cette terre qui les réchauffe et sèche leur mystère. Le promeneur solitaire laisse vagabonder une mélancolie sourde sur les pierres tombales, il erre au milieu de ses futurs frères jouissant d'un repos salé qu'il envie et refuse, pour enfin s'arracher à sa contemplation et plonger dans la mer puisque... le vent se lève, il faut tenter de vivre ! : cette phrase rendue célèbre par le dernier Miyazaki parle de cela, d'un vivant qui fuit les morts après les avoir visités, fuit tant que c'est encore possible et s'arrache aux tombes qui se dressent et l'appellent doucement - la sérénité tentatrice de l'ultime demeure refusée, Et quelle paix semble se concevoir! quand sur l'abîme un soleil se repose. Ainsi, sur le thème du cimetière marin, d'autres ont déjà écrit et mieux que moi. Pourtant... 

 

Le cimetière marin de Sayulita

En ce dimanche de mars où le soleil se laisse glisser vers l'horizon, sur les maisons des morts mon ombre passe.

A une centaine de mètres de la plage principale de Sayulita couverte de sable-ciment et de touristes-envahisseurs, bien à l'abri derrière la colline qui s'avance dans la mer, se cache la playa de los muertos. C'est une petite plage en arc de cercle, elle s'incurve à l'intérieur de la terre comme pour mieux protéger son secret. A la lisière du sable et du chemin, une femme en tunique oaxaqueña vend des brochettes de crevettes et de poulet grillé. L'air sent le feu, le sel et la fleur qui s'épanouit au soleil : l'odeur des morts dans ce coin du monde. Les palmiers se penchent les uns vers les autres comme des fées au dessus d'un berceau. Derrière le sentier qui mène de la ville à la plage, les tombes s'éparpillent à flanc de colline, au milieu des fleurs et des arbres tropicaux, bercées par le bruit de la mer, la mer, toujours recommencée

 

Le cimetière marin de Sayulita

On est là pour le coucher de soleil sur l'océan, pour les flamboyances paisibles. Je ne mettrai pas un pied sur la plage : le cimetière caché là m'attire bien davantage. Je me rappelle les exubérances oranges et pourpres du Dia de los Muertos au Michoacan, cette façon dont les cimetières se paraient de leurs plus beaux autours pour une nuit de fête. Au Mexique, la mort est haute en couleurs. On n'enferme pas les défunts dans des tombes grises et bien rangées, alignées le long d'allées toutes droites et perpendiculaires, avec des petits gravillons pour marquer le chemin, non. Ici on sème les tombes au hasard, là où il y a la place, au milieu des arbres et des fleurs, on les plante comme une nouvelle végétation blanche et sacrée, atemporelle. 

 
Le cimetière marin de Sayulita
Les feuilles mortes et les brindilles recouvrent le sol, les pierres, l'angle des croix, comme si toujours elles avaient été là, ces tombes, depuis une petite éternité de silence et de repos. Mais les fleurs bleues et rouges et jaunes et blanches et violettes qu'on a déposées là sont encore fraiches, le châle étoilé de la Virgen de Guadalupe étincelle encore, le vent et le soleil n'ont pas  eu le temps de fâner le teint rose de ses joues. Les palmes des cocotiers laissent au Christ en croix une sorte d'intimité et loin vers le ciel des arbres au tronc rouge et chargé d'épines s'enlacent. Ils protègent les morts des agressions célestes, les enveloppent et les bercent de l'ombre légère de leurs feuilles. 
 

 

 

Le cimetière marin de Sayulita

C'est un cimetière sans chagrin et sans mélancolie, un cimetière comme un oiseau migrateur venu poser là ses plumes après un long voyage. En fermant les yeux on pourrait entendre le souffle des morts sous la terre, ils sont allongés depuis toujours et pour toujours et disent aux vivants que la vie est là, à fleur de terre, dans ces arbres qui enroulent leurs racines autour de leur pierre et lancent au ciel leur ramure, dans ces fleurs qui poussent et meurent et poussent encore, dans cette existence toujours renouvelée qui croît au dessus des feuilles mortes et de la poussière - un cimetière comme une promesse de vie. 

Le cimetière marin de Sayulita
"La vie est vaste, étant ivre d'absence, et l'amertume est douce, et l'esprit clair". 
 
 
"La vie est vaste, étant ivre d'absence, et l'amertume est douce, et l'esprit clair."
Le cimetière marin de Sayulita

Publié dans Mexique, Photos

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