De l'utilisation des couvertures

Publié le par Laurine T.

De l'utilisation des couvertures

On pourrait limite écrire un bouquin entier sur la couverture au Mexique. Je m'en tiendrai à quelques lignes, je vous rassure, mais la couverture ici, la cobija, c'est un incontournable morceau d'anthropologie. La cobija est toujours le premier instrument pour lutter contre le froid. Qui ne s'est jamais blotti sous un plaid pour regarder un film ou bouquiner, me direz vous. Certes. Sauf qu'ici, c'est un remède au froid en toutes circonstances : pas seulement sur son canapé, mais aussi dans son lit, chez soi ou dans la rue, pendant un festival ou une fête.

Commençons par les bébés. Dans l'agitation des rues, on repère un papa ou un maman avec son bébé dans les bras très facilement. Non pas grâce à la petite bouille ronde et un peu tordue qui ouvre ses yeux immenses sur un monde étrange, ni parce que des petits bras potelés dépassent d'un sac kangourou ou d'un pagne noué autour du corps. Non : du bébé, on ne voit jamais rien. Le bébé mexicain est préservé du regard de la foule, retiré à la curiosité du monde et la caresse agressive du vent par une couverture en polaire, souvent rose ou jaune ou les deux. Le bébé est emmailloté là-dedans des pieds à la tête, même son visage disparaît sous l'épaisseur du tissu : les parents portent un gros paquet-chrysalide informe dont on devine, par déduction, qu'il contient un enfant (à la réflexion, c'est extrêmement rare de croiser une poussette à Guanajuato ; mais ça s'explique sûrement par les montées descentes incessantes, il faudrait voir dans les autres villes). Je me demande toujours comment ces bébés invisibles respirent dans leur cocon polaire, et j'en viens parfois à croire que ces enfants doivent présenter quelque monstrueuse pathologie, quelque déformation postnatale spécifiquement mexicaine pour qu'on les soustraie ainsi aux yeux des autres durant les premiers mois de leur vie.

Mais cette tendance à s'envelopper de couvertures ne s'arrête pas la première bougie soufflée, bien au contraire. Au Mexique, la cobija remplace les écharpes, remplace les manteaux, remplace les gants et les bonnets, et, au premier froid, la famille entière s'enroule dans ses couvertures. Au Festival Internacional de los Globos de Leon, lors de la fête de la Guadalupe, ou encore à Janitzio pour la Noche de los Muertos, les gens assistent aux festivités emmitouflés dans leur cobija, ils la serrent autour de leurs épaules quand ils marchent, super héros des premières rosées, fantômes d'un autre temps dans leur linceul moderne, empereurs et impératrices du quotidien dans leurs capes bariolées.

Ce qui est drôle, c'est qu'en général il ne s'agit pas des couvertures traditionnelles mexicaines rayées de couleurs vives, comme on le voit si on tape "couverture mexicaine" dans une barre de recherche. Très souvent, ce sont des couvertures en polaire ou dans un autre tissu thermique new technology aux imprimés contemporains, c'est à dire, la plupart du temps, des personnages de dessins animés, des Cenicienta, des Blanca Nieve, des Bella Durmiente, tout un défilé de princesses Disney, d'aristochats, de Jimminy Cricket et de Polochon, mais aussi de chevaux qui galopent, de chiens qui tirent la langue, de dauphins qui cabriolent, de Bob l'éponge aux gros yeux bleus, de petits Minions, de Lapins Crétins, d'Angry Birds, de Woody et Buzz l'Eclair, tendus comme des étendards internationaux sur les épaules des petits et des grands.

Ici, pas de couettes, pas d'édredons, pas de sacs de couchage ou si peu : à la maison ou au camping, on se chauffe sous des couvertures, les modernes de dessin animé ou les anciennes en coton tressé avec leurs franges blanches et leur géométrie, ou encore celles en coton bouilli et râpeux avec leurs carrés à l'écossaise - celles-là, même quand dans les magasins on les voit neuves, sous emballage plastique, on a l'impression qu'elles ont réchauffé trois générations avant nous et qu'elles sentent déjà la poussière.

Si on a froid, le principe est simple : on empile. La nuit, c'est une nécessité. Les maisons sont souvent très mal isolées, voire pas isolées du tout, ouvertes aux courants d'air et à l'humidité. Dans ces terres qui n'ont qu'une idée vague des rudesses de l'hiver, le chauffage central n'existe pas. Quelques radiateurs électriques parfois, quelques braseros. Mais l'empilement de couvertures reste la première arme contre les frissons nocturnes ; personnellement, ça a été un de mes premiers investissements - mon nez trop délicat supportant relativement mal l'odeur de renfermé de la couverture de la logeuse, de toute façon trop fine pour le froid montagnard de Guanajuato. (Rien cependant ne remplacera jamais la chaleur d'un corps aimé).

Les couvertures sont si importantes qu'elles font souvent l'objet des campagnes des associations qui luttent contre la pauvreté : donnez une couverture pour réchauffer une famille, comme chez nous on donne des pâtes, du riz, du sucre ou des conserves. Le don de cobijas se présente comme l'expression première de la solidarité envers les plus démuni-e-s, le symbole de la chaleur et du réconfort donné,partagé, offert : preuve s'il fallait encore s'en convaincre que la couverture au Mexique, c'est toute une institution.

Un exemple de campagne de solidarité à Morelia

Un exemple de campagne de solidarité à Morelia

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